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« Là je me fais chier, je me mets la pression de fou! »
C’est la première phrase que j’entends, arrivé avec 1h de retard à cause d’une gueule de bois non anticipée.
Je me trouve dans la shaping room de Tristan Mausse qui attaque méticuleusement le shape de sa dernière planche: un Hull en 8 pieds pour finaliser une commande Japonaise de sa marque Fantastic Acid.
Nous voilà donc dans une petite salle de shape improvisée à une porte de son salon.
Tristan a posé ses valises pleines de livres et de templates avec sa petite famille du côté d’Anglet après des années de bourlingues dans les ateliers les plus prestigieux de la planète. Sa notoriété en tant que glasseur n’est plus à prouver et si je passe le voir aujourd’hui c’est pour en apprendre plus sur ces designs que je le vois surfer depuis quelques années, les hulls.
J’avoue que le shape est vraiment intriguant et étant fraîchement possesseur d’une de ces planches je me devais d’avoir toutes les cartes en mains pour appréhender ce nouveau bordel sous mes pieds…
Alors qu’il venait de finir de découper son outline, je me fis petit dans un coin de la salle, prenant quand même le soin d’harceler mon hôte de toutes les questions qui me passaient par la tête. Passant du coq à l’âne (dû à mon concert un peu arrosé de la veille), mais bien décidé à travailler Tristan pour en savoir plus, je commençais fort, transperçant son petit cœur passionné avec cette question :
« Dans le futur, tu scannerais pas un de tes modèles toi, si tu voulais gagner du temps et que t’étais satisfait du shape ? »
Non je pense pas. Pour moi c’est un plaisir et un moteur le handshape, d’ailleurs je me limite à 1 planche par jour. Après c’est vrai que si je perds mes templates je suis baisé alors pourquoi pas en scanner une par sécurité. Mais bon c’est pas mon délire pour l’instant puis tu sais Dave Parementer et Andrew Kidman en parlent dans leur livre et démontent le shape machine, ils disent que toutes les innovations qui sont arrivées dans le shape sortent des shapers garage et que rien n’arriverait en modifiant des courbes sur un ordinateur…
Ok on va dire que non alors. Pourquoi et quand tu t’es mis à shaper un hull du coup ?
Quand j’étais à Bali. En fait, j’avais surfé les premières Marc Andreini, avec des rails softs et j’aimais bien mais je sentais pas encore le truc, du coup je cherchais des hulls plus radicaux, j’en ai fait faire plusieurs dont une par mon pote Carl Lamaitre mais c’était jamais assez affuté comme je voulais… Du coup je me suis lancé! J’ai trouvé un nose de longboard et avec toutes les côtes de Greg Liddle dispo sur le net j’ai créé mon premier template. Ensuite, j’ai adapté mes courbes à ce qui me donnait le plus envie et j’ai sorti le antistatic hull, là regarde: c’est mon tout premier template.
Wow ! OK, ah ouais tu l’as préservé ?
Ouais et avec celui-ci j’ai fait tous mes autres templates en le bougeant pour modifier les courbes (il me montre) pour faire un stubby ou un rounded hull par exemple comme ça.
Ah ouais c’est ouf, je savais pas qu’un template de base t’ouvrait plein de courbes comme ça ?
Ouais mais tu sais Dave Parmenter racontait ça aussi, les courbes mères elle existent depuis la nuit des temps! De Tom Blake aux autres c’est les mêmes courbes que tu bouges en changeant des détails mais tout part de là.
Ah ouais c’est ouf et du coup ton premier hull, il marchait bien direct ?
Bah écoute, moi je trouvais que oui mais c’est vrai qu’avec l’expérience, j’ai commencé à prononcer le belly et le lift pour encore plus ressentir ce truc unique du hull. Au final les premiers étaient plus simple à surfer mais j’ai vite compris que je pouvais aller plus loin.
Ah ok mais ce « truc » dont tu parles, c’est cette sensation de la carène qui ressort de l’eau ?
Oui voilà quand le flex de la dérive te propulse après le bottom et que la coque te fait voler au dessus de l’eau jusqu’à la high line!
Quand j’ai senti ça, j’ai vraiment commencé à surfer mes hulls à fond! Pas mal entre « impossible » en backside et « mushroom rock » !
A ce moment-là, on se fait interrompre par la petite fille de Tristan tout juste rentrée dans sa salle de shape pour lui montrer une piscine sur un magasine et lui demander si dans le futur ils pourraient avoir la même ?
« Heu oui mais il va falloir que papa shape beaucoup de planches (à la main) pour ça »
« ok papa, shape des planches alors » dit-elle avant de refermer doucement la porte.
C’est cool d’avoir ta petite shaping room à la maison ?
Ouais carrément c’est beaucoup moins de pression et plus relax de shaper sur place en profitant de ma famille quand je peux. Pas besoin de prendre ma caisse! Je peux vraiment prendre mon temps sur une planche avec mes propres outils que j’aime, comme ce rabot que j’avais pas en Indo, là tu vois je peux modifier la profondeur quand je creuse pour attaquer mon belly.
Il m’enchaine, tout en shapant:
D’ ailleurs, regarde où se trouve le maitre bau, ça commence vraiment aux 2 tiers de la planche devant, et du coup la coque du hull va commencer au plus profond au niveau du pied avant d’où la sensation de pousser de l’eau sous le torse quand tu rames.
Ah yes, ouais j’ai remarqué en ramant ça. Mais sinon maintenant, tu préfères shaper ou glasser ?
Bah j’aime toujours glasser mais pour envoyer de la prod c’est épuisant, ça fait mal au crâne les vapeurs et tout… Mais j’aime trop glasser mes boards malgré tout! Quand tu fais les planches des autres c’est vrai que la marge de créativité et l’impact sur la planche est plus faible alors qu’en shape tu vas directement tout sentir quand tu vas dans l’eau et du coup ça me motive encore plus à surfer d’être passé au shape !
Même en terme de matière je préfère la mousse, t’es moins stressé, pas de timing serré à cause du temps de prise de la résine.
Ouais je comprends. Rien à voir mais en essayant de me renseigner, je me demandais pourquoi les gens ne connaissaient pas plus les hulls ?
Parce que c’est compliqué à surfer je pense. Souvent les mecs essayent et n’ont pas la patience de galérer plusieurs sessions avec la planche.
Ouais c’est vrai que les gens veulent une planche facile qu’ils comprennent direct, d’ailleurs on le voit avec l’explosion du longboard et des planches au bottom plat, les gens veulent du volume et de la stabilité pour prendre plus de vagues.
Grave, mais c’est dommage moi c’est vraiment le côté défi qui m’a donné l’envie de pas lâcher l’affaire pour découvrir cette fameuse sensation. J’ai l’impression qu’avec un hull, la planche guide ton style et te fait prendre du plaisir. Quand tu la comprends, tu la laisses te conduire, alors que plus jeune en shortboard j’ai jamais réussi à le conduire comme je voulais, pourtant j’ai essayé longtemps mais j’avais pas de plaisir à lutter contre la planche…
Après pour le côté connu, le hull est quand même plus médiatisé avec les réseaux sociaux et tout, avant c’était vraiment underground mais malgré tout je trouve ça bien que ce soit pas super populaire, que les designs restent un peu méconnus tu vois, quand tu en parles à quelqu’un qui s’y intéresse, il sait vraiment de quoi il parle et ce qu’il veut, comme un groupe de musique pas accessible pour tout le monde ahah !
Ahah ouais je vois, mais t’as pas souvent des mecs qui te commandent un hull sans rien connaitre ?
Non franchement pas pour l’instant. Putain d’ailleurs mec il faut que je te montre l’article de surfer journal qui m’a fait disjoncter sur le hull, c’est un truc de 2006 (n° 57) je crois, et suite à ça j’avais entendu que Greg Liddl envoyait carrément chier ces clients qui lui commandaient un hull derrière !
Ah ouais mais pourquoi ?
Je sais pas mais je crois qu’il en avait marre d’avoir 200 mails et que les gens s’emballent à lui commander des planches suite à l’article pour au final avoir de mauvais retour de mecs qui arrivaient pas à les surfer, du coup apparemment sa réponse automatique c’était « si vous commandez suite à l’article dans surfer journal, passez votre chemin »!
Wow abusé.
A ce moment-là, Tristan s’empresse de m’emmener lire l’article dans son salon, le truc est rempli de photos de malades et de citations incroyables!
Malgré cette découverte, je sentais qu’en penchant la tête pour feuilleter le magasine avec lui, l’afflux sanguins répété pourrais me provoquer une nausée imminente. Fort heureusement Tristan me proposa de me prêter le numéro pour le lire au calme chez moi.
( PS: J’avoue qu’ayant lu l’article depuis il est fou et donne vraiment envie d’en savoir plus sur cette glisse pure, je vous le conseil! Surfer Journal n°57 )
Bref, il fut plus sage de le quitter là, le laissant finir sa planche tranquillement. Pas complétement rassasié sur mes questions, je cru comprendre sur la route du retour que le mystère autour de ce design délaissé, cette quête de savoir fait parti intégrante de la magie de ces planches.
Ma dernière question me le confirma dans sa réponse remplie d’enthousiasmes et d’excitations.
Et juste pour savoir pendant ton trip du mois prochain en Californie, tu vas voir des mecs de cet article ou à fond de hull ?
Ouais grave je vais rencontrer Klaus Jones qui shape encore des hulls mega foilé avec plein de belly ! Il fait des flex tails à mort aussi !! Genre 3 inch d’épaisseur, S deck, parallèles, méga foilé je te dis, ça donne trop envie, quand tu touches des rails comme ça tu sens que ça va être fou….
La quête de la vérité n’est jamais finie.
Yrwan Garcia Léal.